Soleil levant au Havre

Claude Monet est né à Paris, mais sa famille déménage au Havre alors qu’il a 5 ans. C’est ici qu’il exécute ses premiers croquis et caricatures pour lesquelles il rencontre un certain succès.

Sa rencontre avec Eugène Boudin, lui-même havrais, sera déterminante pour sa carrière.

Après différents séjours parisiens, il quitte la France en 1870 pour échapper à la guerre et un enrôlement dans l’armée. La découverte de la peinture de Turner et Whistler sera une autre étape déterminante.

De retour au Havre en 1871 et installé à l’hôtel de l’Amirauté, situé Grand Quai (actuel Quai Southampton), c’est un port moderne qu’il découvre. Depuis sa chambre, située au troisième étage, il peindra trois toiles dont celle qu’il appellera plus tard « Impression, soleil levant » (novembre 1872).

La toile est exposée en 1874. C’est à cette occasion qu’un critique du journal satirique Le Charivari, Louis Leroy, parlera de « L’exposition des Impressionnistes », posant malgré lui les premiers jalons sémantiques du courant pictural le plus célèbre de l’histoire de l’art.

Un Castor en week-end au Havre

Ils se sont connus à la fin des années 1920 à la faculté des lettres de l’université de Paris.

Simone de Beauvoir, alias le Castor* et Jean-Paul Sartre formeront un couple d’anthologie, ce qui ne les empêchera pas, à côté de cet amour « nécessaire » de trouver auprès d’autres partenaires des relations « contingentes ». Un couple libéré avant la lettre donc.

Libéré et brillant. Sartre est reçu premier de l’agrégation de philosophie en 1929 ; elle obtient la deuxième place.

Nommée à Marseille, alors qu’il est affecté au Havre (à son grand regret, voir mon article à ce sujet), Simone de Beauvoir décline la proposition de mariage de son amant mais obtient en 1932 un poste à Rouen pour se rapprocher de lui.

Simone de Beauvoir au centre (1933) – Photographie Tourte & Petitin – Document J. Trumel-Mézières

Et les amoureux de se retrouver au Havre le week-end.

Voici un extrait de La force de l’âge, où le Castor décrit ses soirées canailles dans les rues interlopes de l’époque.

« Nous nous retrouvions d’ordinaire au Havre qui nous paraissait plus gai que Rouen. J’aimais les vieux bassins, leurs quais bordés de boîtes à matelots et d’hôtels borgnes, les maisons étroites coiffées de toits d’ardoises qui leur tombaient jusqu’aux yeux […]
La plus jolie rue du quartier, c’était la rue des Galions dont au soir les enseignes multicolores s’allumaient : le Chat noir, la Lanterne rouge, le Moulin rose, l’Étoile violette ; tous les Havrais la connaissaient : entre les bordels gardés par de robustes maquerelles s’ouvrait le restaurant réputé de La Grosse Tonne ; nous allions de temps en temps y manger la sole normande et le soufflé au Calvados […]
Le Havre était un grand port ; des gens venus d’un peu partout s’y mélangeaient ; on y brassait de grosses affaires selon les méthodes modernes ; on y vivait au présent, au lieu de s’incruster dans les ombres du passé. »
(in Simone de Beauvoir, La force de l’âge, 1960)

La rue des Galions, qui fut aussi appelée « rue des débauchés » au 18e siècle comme le rappelle Damien Patard sur son blog Le Havre d’avant, s’est considérablement assagie.

Mais les quelques photos d’époque qui nous sont parvenues nous remettent dans l’ambiance de ce quartier chaud, typique de cités portuaires avant l’ère des porte-conteneurs… « Et ils pissent comme je pleure sur les femmes infidèles… »

* Surnom que lui donna leur ami commun René Maheu en raison de la proximité de « Beauvoir » avec beaver (signifiant castor en anglais) et parce que « les castors vont en bande et ils ont l’esprit constructeur » (in Simone de Beauvoir, Mémoires d’une jeune fille rangée, 1958).

La bête humaine

Si le roman de Zola situait l’action de la Bête humaine sous le Second Empire, Jean Renoir en fait une adaptation contemporaine, c’est-à-dire en 1938 (soit la même année que le tournage de Quai des Brumes).

Le roman comme le film décrivent avec noirceur les passions humaines et l’emprise d’un déterminisme héréditaire (la violence chez le héros Jacques Lantier victime de l’alcoolisme de ses parents) ; Ils sont aussi la peinture du monde du chemin de fer, se concentrant sur la ligne Paris Saint-Lazare-Le Havre. La SNCF est d’ailleurs créée cette même année 1938 et contribue à la formation de Jean Gabin pour la conduite de la locomotive à vapeur, dite La Lison.

Les extérieurs ont été tournés en partie au Havre et à Bréauté-Beuzeville.

Le Havre, faubourg de Paris

« Le Havre est devenu le grand faubourg de Paris ». Ainsi débute le chapitre que le journaliste mondain Eugène Chapus consacre à la ville dans son guide plusieurs fois réédité « De Paris au Havre » (1855).

Les premiers touristes en France furent à l’âge d’or du romantisme les jeunes gens de bonne famille et les artistes amateurs de vieilles pierres et d’ambiances maritimes,

Mais c’est l’essor fulgurant du chemin de fer grâce à la locomotive à vapeur qui va, à partir de la seconde partie de 19e siècle, propulser la Normandie au rang de province la plus visitée de France. La ligne est construite de 1843 à 1847. Et de fait, l’office du tourisme du Havre sera l’un des premiers à ouvrir en France (1891).

T’as d’beaux yeux tu sais

Ces quelques mots ont-ils encore un écho à l’heure du streaming et des plateformes ?

Nés sous la plume de Jacques Prévert et prononcés par Jean Gabin dans « Quai des brumes » de Marcel Carné, ils appartiennent au répertoire des répliques cultes du cinéma français.

Si le roman éponyme de Pierre Mac Orlan, plus dense que le scénario du film, se situe à Paris, c’est au Havre que le réalisateur Marcel Carné transposera l’histoire d’amour d’un déserteur et de Nelly, jeune femme mélancolique, interprété par Michèle Morgan.

Alors pourquoi le Havre ? Le titre du roman faisait référence au nom d’un cabaret de Montmartre où se croisaient les destins de personnages perdus ou en fuite. Selon Wikipédia, Marcel Carné choisit cette ville en raison de l’existence d’un manège d’autos tamponneuses, inédit à Paris. En tout cas, il y trouva en décembre 1937 de la brume à revendre, de la tristesse et de la désolation, en somme tout ce qu’il fallait pour que le spectateur se concentrât sur la limpidité vertigineuse du regard de Nelly, magnifique même en noir et blanc.

Gros succès au box office à sa sortie en 1938, il sera interdit sous l’occupation par la censure française qui le jugea « immoral, déprimant et fâcheux pour la jeunesse ».

Voir la scène mythique

La salamandre de François 1er

Les premières pierre avaient déjà été posées par Louis XII, mais c’est François 1er qui voulut créer en ce lieu un port de guerre, Fanciscopolis. Il lui donna ses propres armoiries, la salamandre, symbole de la foi qui ne peut être détruite. Ainsi, la ville qui sera rebaptisée le Havre de Grâce, d’après le nom d’une chapelle, porte dès sa fondation la marque d’une endurance à toutes épreuves.

La salamandre est particulièrement emblématique du règne de ce souverain. À Chambord, l’animal mythologique est, avec plus de 300 représentations, le symbole le plus repris, devant le lys et la couronne.

Le blason du Havre porte toujours la salamandre en son cœur.

Un escalier mécanique en ville

Après la première guerre mondiale, le village de Graville et le plateau de Frileuse dans les hauteurs du Havre sont rattachés à la ville. Des cités ouvrières y sont construites, comme la cité Transat, financée par la Compagnie générale transatlantique.

Mais du plateau au port et aux usines, il manque un moyen de transport, et il est bien fastidieux de devoir remonter le soir à pied les marches de l’escalier Montmorency. Plutôt qu’un funiculaire, la municipalité choisit un projet révolutionnaire : un escalier mécanique, reliant donc la ville haute à la ville basse.

Cet escalier mécanique réalisé par les établissements Grosselin et inauguré en 1928, pouvait transporter jusqu’à 6 000 personnes par heure, sur un dénivelé de 50 mètres. Il était doté de deux vitesses, dont une de pointe, qui permettait d’effectuer le trajet en 4 minutes !

Avec l’essor de la voiture individuelle tout au long des 30 glorieuses, les usagers le désertent progressivement. La municipalité le ferme définitivement en 1984. Il est classé monument historique la même année.

Un 2018, un artiste habille les marches de l’escalier classique. Mais nombreux sont les nostalgiques qui souhaiteraient également que soit réouverte au public l’entrée de l’escalier mécanique afin de présenter un mécanisme, qui reste unique au monde.

Jules Siegfried, précurseur des HLM

Jules Siegfried en 1913

Maire du Havre, député et conseiller général de « Seine Inférieure », puis ministre « du commerce, de l’industrie et des colonies », Jules Siegfried eut une longue carrière politique sous la IIIe République.

Une loi de 1oi de 1894 porte son nom et tient une place décisive dans l’histoire du logement social en France.

La Loi Siegfried autorise en effet la Caisse des dépôts et consignations à consentir des prêts à des organismes privés créés en vue de construire des habitations à bon marché. Elle aboutit la création des Sociétés d’Habitations à Bon Marché, ou HBM et futures HLM.

Au 19e siècle, l’habitat populaire des villes est en effet très majoritairement composé de véritables taudis. ils suffit de relire Eugène Sue (les mystères de Paris), Victor Hugo (Les misérables), Balzac (Le père Goriot) ou encore Zola (L’assommoir, Germinal, Le ventre de Paris).

Cette loi est donc une avancée sociale importante. Mais la misère a la vie dure. Quant aux marchands de sommeil, ils dorment toujours sur leurs deux oreilles.

Au menu du France

Janvier 1962, le France, troisième du nom, est mis en service au Havre.

Long de 316 mètres, il sera pendant 40 ans le plus grand paquebot au monde, avant d’être abandonné et revendu pour cause de non-rentabilité malgré les promesses de Valéry Giscard d’Estaing (« Ne m’appelez plus jamais France… »).

Pour sa première croisière transatlantique, il accueille plus de 1 800 passagers.

Que mangent sous le dôme étoilé de la salle à manger les « Premières classes » qui feront la traversée Le Havre – New York ? Un potage Germiny à l’oseille, du dindonneau du Maryland aux myrtilles ou encore des nouilles Lombarde.

Retrouvez en podcast la délicieuse émission « On va déguster » de France Inter consacrée le 10 avril dernier au mythique menu du France.

Jules Durand ou la seconde affaire Dreyfus

Dans le port du Havre des années 1910, les ouvriers charbonniers sont les derniers maillons de la chaîne et vivent dans une misère absolue.

Un révolutionnaire idéaliste, Jules Durand, dit « le curé », reprend en main leur syndicat et tente de faire avancer leurs droits dans le cadre d’une lutte qu’il veut pacifiste.

Pour sauver les intérêts de la Compagnie générale transatlantique, les grandes familles de négociants havrais organisent un véritable traquenard qui aboutira à son procès (il est défendu par René Coty, alors jeune avocat) et de quelques uns de ses compagnons de lutte. Et au verdict incroyable de la peine de mort pour le leader.

Face au soulèvement de l’opinion générale, celle-ci sera finalement commuée en sept ans de prison et il sera libéré en 1915. En 1918, la cour de cassation reconnaît l’utilisation de faux témoignages et le déclare innocent.

Mais victime de ce que Jaurès qualifia de « seconde affaire Dreyfus », Jules Durand a depuis des années perdu la raison. Interné dans l’asile psychiatrique de Quatre Mares à Sotteville-lès-Rouen, il y mourra en 1925.

Cette incroyable histoire est le sujet du roman très documenté de Philippe Huet, Les quais de la colère. Philippe Huet, écrivain né au Havre, est également l’auteur de nombreux romans noirs dont La Main morte, Grand prix de littérature policière.

Jules Durand en 1910 et en 1912

Sartre, la philo et le cinéma

Au retour de son service militaire en 1931, Jean-Paul Sartre est affecté comme professeur de philosophie au lycée du Havre (aujourd’hui lycée François 1er).

Pour le brillant normalien qui avait convoité un poste de lecteur au Japon, c’est une déception. Mais Simone de Beauvoir, envoyée dès 1932 au Lycée de jeunes filles de Rouen, l’y rejoindra bientôt les week-end.

Atypique « avec sa pipe vissée à la bouche » et pouvant démarrer un cours par « Messieurs je vous hais, car vous êtes tous de sales bourgeois » , il prononce dès son arrivée un surprenant discours de distribution des prix, très en rupture avec la culture classique de l’époque et dédié…au cinéma. Le qualifiant d’emblée d’art, il encourage les jeunes auditeurs à se former au contact de ce qu’il avait très tôt considéré comme « le poème de la vie moderne ».

Sartre écrira La nausée au Havre (qu’il appellera Bouville dans le roman).